Sans Compromis
Ce matin, je commence ma journée avec cette lecture du chapitre 8 de « Sri Aurobindo et l’avenir de la Révolution Française ». Et je tombe sur ce passage, qui est en fait tiré du dernier chapitre du « Cycle Humain ». Notre spiritualité doit vraiment devenir la chose la plus importante de notre vie, nous donner entièrement à cette œuvre, sans aucun compromis.
D’une manière habituelle, l’humanité se contente en effet d’approcher l’idéal avec une aspiration, qui reste presque entièrement à l’état d’aspiration, et ne l’admet que comme une influence partielle. On ne laisse pas l’idéal modeler la vie tout entière, on lui permet seulement de la colorer plus ou moins ; on s’en sert même souvent comme d’un paravent ou d’une excuse pour couvrir des activités qui sont diamétralement opposées à son esprit réel. On crée des institutions avec l’intention de donner corps à cet esprit, mais l’intention reste trop légère et l’on considère comme suffisant le fait d’avoir un idéal et de vivre selon ses institutions. Professer un idéal devient presque une excuse pour ne pas vivre selon cet idéal ; l’existence des institutions suffit à dispenser du besoin d’insister sur l’esprit qui les a engendrées. Mais de par sa nature même, la spiritualité est subjective et non mécanique ; elle n’est rien si elle n’est pas vécue intérieurement, rien si la vie extérieure ne découle pas de cette existence intérieure. Les symboles, les types, les conventions, les idées ne suffisent pas. Un symbole spirituel n’est qu’une étiquette dépourvue de sens si la chose symbolisée n’est pas réalisée en esprit. Une convention spirituelle peut perdre ou répudier son esprit et devenir un mensonge. Il se peut qu’un type spirituel soit un moule temporaire où coule la vie spirituelle, mais c’est aussi une limitation qui risque de devenir une prison où elle se fossilise et périt. Une idée spirituelle est un pouvoir, mais seulement quand elle est créatrice, aussi bien intérieurement qu’extérieurement. Nous sommes ici devant un principe pragmatique qu’il nous faut élargir et approfondir, à savoir que la vérité est ce que nous créons, mais en ce sens d’abord qu’elle est ce que nous créons en nous-mêmes, c’est-à-dire ce que nous devenons. Sans doute, la vérité spirituelle existe-t-elle éternellement au-delà, indépendante de nous, dans les cieux de l’esprit ; mais elle n’est d’aucune utilité pour l’humanité ici-bas, elle ne devient pas vérité de la terre, vérité de la vie, tant qu’elle n’est pas vécue. La perfection divine est toujours là, au-dessus de nous ; mais par spiritualité nous entendons que l’homme devienne divin dans sa conscience et dans ses actes, et qu’intérieurement et extérieurement il vive la vie divine ; toute signification moindre donnée à ce terme, n’en est qu’une expression maladroite et inadéquate, ou une imposture.
Sri Aurobindo – Le Cycle Humain – Chapitre 24